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Que reste-t-il de la French Touch ?


Nicole Marchand
Vendredi 10 Avril 2015





La French touch, cette impalpable élégance française, faite de style, de savoir-faire, de sobriété… mais aussi de technique et d’innovation fait-elle toujours recette à l’étranger ?


(CC0 Public Domain)
(CC0 Public Domain)
La French touch ?
 
Vaste concept que celui de la French touch, aussi vivant que fuyant, car multiforme. La French touch, cette patte, cette excellence française qui s’exprime originellement surtout dans la mode,  la tradition culinaire, les arts picturaux, et plus récemment dans la musique et le cinéma, a dépassé ses propres frontières pour se saisir de domaines où on ne l’aurait probablement pas pressentie. L’informatique, les jeux vidéo ou l’industrie – au sens large –, font désormais partie intégrante des secteurs dans lesquels le goût et le talent français s’affirment. Aujourd’hui, la French touch allie esthétique, technique, innovation… et appropriation. Elle semble ne s’être jamais aussi bien (ex)portée.
 
Du goût et de l’esthétique…
 
Bien sûr, quand on parle de French touch, on pense au (bon) goût. Et l’on peut, sans trop s’avancer, préjuger qu’en France sans doute plus qu’ailleurs, qui pense au goût pense d’abord au travail des produits de bouche. En matière de gastronomie, c’est bien sûr au Cuisinier du siècle – selon le fameux Gault & Millau –, Paul Bocuse, que l’on doit l’Institut éponyme. Depuis 1998 l’Institut Paul Bocuse accueille et forme, à Lyon et, depuis 2010, à Shanghai, des étudiants venus de tous horizons, aux métiers de l’hôtellerie, de la restauration et des arts culinaires. Avec aujourd’hui 470 élèves de 37 nationalités différentes, l’Institut du Pape de la gastronomie est devenu une référence en matière de French touch à l’international. Hervé Fleury, le directeur général de l'école, explique : « Dans cette école, on transmet un état d'esprit impulsé par le nom et l'image de Paul Bocuse, mais en retour, il y a une attente forte de l'extérieur à cause de ce nom-là ». Et probablement pour la notoriété et la perpétuation de la gastronomie française elle-même. Quoi qu’il en soit, la réputation de l’établissement est telle qu’à la sortie, le spectre du chômage qui hante tant d’étudiants n’est plus qu’un mauvais souvenir (1).
 
Mais il n’y a pas que des noms tels que Paul Bocuse pour mettre l’eau à la bouche aux étrangers. L’an dernier, c’est Delphine Huguet, pionnière du design culinaire en France après une formation à l’ESAD (Ecole supérieure d’art et de design) de Reims – une des seules écoles en France qui propose cette spécialisation –, qui s’est fait remarquer. Elle a été, avec 25 autres élus, présélectionnée parmi quelques 45 000 candidats, pour participer à la compétition des « best jobs in the world » organisée par Tourism Australia, dans la catégorie « explorateur gastronomique ». Et même si la Papesse française du design alimentaire – toujours selon le Gault & Millau – n’a finalement pas été retenue, elle a depuis créé Ui-Da, société de conception de curiosités culinaires, à Montréal. Elle travaille désormais pour des noms tels que le Vantan Design Institute de Tokyo, les Aéroports de Paris, Nestlé ou l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (2).
 
Quant à l’architecte d’intérieur Bruno Moinard, collaborateur d’Andrée Putman durant de nombreuses années, son nom n’est plus vraiment à présenter : on se l’arrache aux quatre coins de la planète. Si on lui doit la réalisation des boutiques Cartier du monde entier, celle du siège parisien d’Hermès, ou encore celle du Musée des Arts décoratifs, il officie également pour des particuliers… au porte-monnaie prestigieux. Et si faire appel à Bruno Moinard a un prix, c’est tout d’abord celui de l’élégance, de la tradition et du savoir-faire « à la française », car l’architecte mobilise tous types de corps de métier pour ses réalisations : « C'est cela que les amateurs fortunés recherchent, cette "French touch" que nous savons métisser et adapter aux cultures locales » (3), affirme-t-il d’ailleurs.

… à la technique et l’innovation
 
Mais le savoir-faire français dépasse désormais de beaucoup le seul héritage culturel, et la French touch s’exprime également dans des univers moins attendus, comme celui des jeux vidéo. Sur ce terrain, la France, avec des éditeurs comme Quantic Games et Heavy Rain, ou, dans le top 5 des éditeurs en Europe et aux Etats-Unis, Ubisoft et sa kyrielle de succès (Prince of Persia, Splinter Cell, Assasin’s Creed ou encore Just Dance, pour ne citer que quelques exemples), n’a rien à envier à l’international. Et pour cause, l’Hexagone dispose d’écoles de renommée internationale en la matière : l’Ecole nationale des jeux et des médias interactifs, les Gobelins, l’école de l’image, Supinfogame… « Ce sont des écoles où l'on entre sur concours, où il y a en moyenne dix postes par an et par métier. Quand un élève en sort, il n'a pas de difficulté à trouver du travail… » précise Emmanuel Forsans, directeur général de l’Agence française des jeux vidéo (AFJV) (4).
 
Que dire également d’une entreprise comme Oberthur Fiduciaire, spécialisée dans l’impression de billets de banque et de documents sécurisés pour le compte d’au moins 70 pays à travers le monde ? Si l’esthétique rentre ici en ligne de compte plus qu’on ne pourrait l’imaginer – un billet n’est-il pas l’alliance  entre une nécessaire fiabilité et la restitution par l’image de la symbolique d’un Etat ? –, l’innovation dont fait preuve l’entreprise en matière de sécurité lui a apporté la confiance de ses clients. Oberthur Fiduciaire fait partie de cette traditionnelle volonté française de proposer un savoir-faire de pointe, sans cesse remis au goût - et aux besoins - du jour : l’entreprise dépose brevet sur brevet. Thomas Savare, le directeur général d’Oberthur Fiduciaire, l’a bien compris : « [I]l est vrai que la French touch, la réputation de bon goût des Français comme le prestige attaché au savoir-faire d'une entreprise séculaire ne sont probablement pas tout à fait étrangers au succès d’Oberthur Fiduciaire. Les Français, qui souvent doutent de leur capacité à réussir dans la mondialisation, seraient étonnés de constater combien notre pays jouit généralement d’une bonne image à l’international. » (5)
 
Bien que le sujet soit politiquement sensible dans l’hexagone, notre pays est également internationalement reconnu pour son savoir-faire global en matière nucléaire, de la conception des réacteurs au démantèlement des centrales en passant par le retraitement des déchets. Si Areva est aujourd’hui concurrencée par de nouveaux entrants expérimentés sur le marché comme Toshiba ou Siemens, la France est un terrain propice pour l’éclosion de PME ultraspécialisées dans le domaine nucléaire comme la PME marseillaise Cybernétix, qui fournit en partenariat avec le CEA, des robots de démantèlement des générateurs en fin de vie. L’alliance public-privé sur la base de savoir-faire parmi les plus pointus du monde, c’est aussi cela la French Touch. Et même si les Français sont souvent perçus comme des pessimistes patentés, en matière d’affaires, pas de doute, la French Touch a de beaux jours devant elle !
 
 
(1) L’Institut Bocuse exporte la « French Touch » culinaire, Le Point, 26 janvier 2014 : http://www.lepoint.fr/fil-info-reuters/l-institut-bocuse-exporte-la-french-touch-culinaire-26-01-2014-1784468_240.php
(2) http://www.ui-da.com/
(3) Les métiers d’art jouent la « french touch », Les Echos, 24 janvier 2014, http://www.lesechos.fr/24/01/2014/LesEchos/21612-421-ECH_les-metiers-d-art-jouent-la---french-touch--.htm
(4) La french touch des jeux vidéo, Le Parisien, 2 mars 2011, http://www.leparisien.fr/une/la-french-touch-des-jeux-video-02-03-2011-1338677.php
(5) RDV avec Thomas Savare, CEO d’Oberthur Fiduciaire, Les Carnets du business, 4 décembre 2012, http://www.carnetsdubusiness.com/RDV-avec-Thomas-Savare-CEO-d-Oberthur-Fiduciaire_a516.html




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