Culture(s)

« À l’enseigne du cœur épris » : chic VS kitsch


Béatrix Foisil-Penther
Mercredi 18 Novembre 2015




Maintenant la Rentrée littéraire passée, c’est l’occasion de revenir sur « À l’enseigne du cœur épris », premier roman de Jean-François Pigeat, écrasé par « les gros porteurs » de septembre, mais qui on l’espère, va tirer son épingle du jeu.


« C’est l’amour au temps d’Habitat ou du Bon Coin qui s’offre à nous, mi-kit, mi-bonne occase, trouvaille et bricolage : à la complexité du mode d’emploi, répondent les problèmes de pièces manquantes et surtout les difficiles étapes de l’assemblage. » À l’enseigne du cœur épris met en scène un couple formé sur le tard : ils ont quarante ans environ, lui - Stéphane - est divorcé et elle - Geneviève - est veuve. Ils tentent le coup du site de rencontre. Et ça marche ! Ils tombent amoureux, voyagent, vont voir des expositions, boivent des cafés et des thés, jusqu’au jour, et c’est le début de la fin, où Stéphane entre pour la première fois dans l’appartement de Geneviève.
 
Il trouve tout de mauvais goût. Particulièrement ces figurines de chats en cristaux Swarovski avec moustaches en nylon, un scorpion sous verre particulièrement odieux, ainsi qu’un narguilé, entre autres bric à brac kitsch. Stéphane, lui, est plutôt du genre à se meubler à la galerie Sentou et privilégier le design scandinave ou italien. Il tente de passer outre, se trouve snob et matérialiste, ce qu’il est. Mais il pense que l’amour va triompher des goûts aléatoires et cheap de Geneviève.

C'est sans compter un second événement qui va éroder davantage leur amour et sa destinée : Yann, le fils de Geneviève, âgé de 27 ans, rentre de Londres où il a échoué à monter un projet professionnel. Il s’installe chez sa mère pour une durée indéterminée. Si Geneviève n’y voit que du feu, Stéphane ronge son frein. Il n’arrive pas à s’y faire. Il est impatient, dur, critique, a tôt fait de considérer Yann comme un looser bordélique qui plus est, et qui vide le frigidaire un peu trop vite.
 
Surtout, un nouvel impondérable survient : Geneviève dont la salle de bain est complètement vétuste, tombe dans sa baignoire et se casse la jambe. Immobilisée chez elle, avec son fils, s’en est trop pour Stéphane. Son caractère psychorigide et égoïste prend le dessus : il ne reconnaît plus son amour, qui a le cheveux plat, est démoralisé. Il ne supporte pas qu’elle soit dépendante de lui, qu’elle soit moins fougueuse, ni d’aller acheter des bières et des yaourts pour son fils.
 
C’est l’occasion pour l’auteur, de faire un peu diversion pendant que Geneviève est alitée. Il raconte son enfance, marquée par la mort de sa mère et son adolescence. C’est un très beau portrait, une jeune fille pure et un rien naïve qui n’a pas conscience du séisme qu’elle provoque chez les hommes tant son physique est bombesque. Elle tombe amoureuse d’un surfeur dépressif, Amaury, le père de Yann, qui finira par se suicider.
 
La jambe dans le plâtre, l’amour désertant la chambre à coucher, Stéphane habitant au sixième étage sans ascenseur, l’idée d’habiter ensemble, fait long feu pour Stéphane et Geneviève. Stéphane craque, le côté romantique de leur histoire ayant fui avec le plâtre de Geneviève. Un jour, il apprend que Geneviève a disparu sans laisser d’adresse, « pour prendre du recul ». À partir de ce moment là, il n’aura de cesse de la reconquérir.
 
À l’enseigne du cœur épris n’est pas une comédie romantique : le ton est acerbe, parfois caustique et cynique, à l’image du narrateur, Stéphane. Mais c’est bien vu et très drôle. C’est parfois charmant, grâce à Geneviève, un beau personnage de femme ni tactique ni calculatrice. Elle n’écoute que son cœur. Ce très bon roman est une comédie contemporaine, et la réalité qu'elle implique, reste difficile.

À l’enseigne du cœur épris, Jean-François Pigeat (Le Dilettante)

 
 


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