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Mobilité : le dilemme de l’Etat face à la colère et à l’incompréhension des Français


Speedy Life
Lundi 19 Septembre 2022




Mot d’ordre de la rentrée : éviter la grogne sociale en mettant en place des mesures pour aider les Français face à la hausse du coût de la vie – prime de rentrée, remise sur le carburant, allocation scolaire, … Le gouvernement réajuste sa politique, sur fond de contestation sociale et de baisse du pouvoir d’achat. Dans ce contexte tendu, les transports du quotidien – promis à une cure de jouvence écologique – cristallisent les tensions.



 
Une hausse que la France n’avait pas connue depuis trente ans - 6,1 % d'inflation sur un an, en juillet : c’est le bilan de la rentrée. Alors l’automne 2022 sera-t-il aussi bouillant que l’automne 2018 quand les Gilets jaunes ont investi les ronds-points de France ? C’est fort possible tant le contexte est comparable avec la forte hausse, ces derniers mois, du prix des carburants. Même avec la remise gouvernementale qui passera de 18 centimes à 30 centimes à partir du 1er septembre prochain, les experts s’attendent à de nouvelles hausses et des plein de carburant moins chers, qui pourraient ne pas durer bien longtemps
 
Comment les Français réagiront-ils ? Que peut faire concrètement le gouvernement d’Élisabeth Borne pour enrayer cette spirale infernale alors que les groupes Nupes et Rassemblement national surfent sur la colère des classes populaires à l’Assemblée nationale ? De plus, l’inflation généralisée dans la zone euro se double d’un autre enjeu : la décarbonation des transports, plus que jamais nécessaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une décarbonation certes vitale pour l’avenir, mais surtout coûteuse aujourd’hui, à la fois pour les usagers et pour les pouvoirs publics.
 
La route, pierre angulaire de la transition écologique
Comment demander aujourd’hui aux Français – et surtout aux classes moyennes et défavorisées – de penser « voiture électrique » quand ils n’arrivent plus à boucler les fins de mois ? Le Parlement européen vient par exemple de décider l’arrêt des ventes de voitures à moteur thermique en 2035 ce qui va lentement obliger tous les automobilistes à changer de véhicule. Mais malgré les aides ou les primes à la conversion, le prix d’achat d’une voiture électrique est encore bien trop exorbitant pour bon nombre de Français. Selon Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux, « l’achat de voitures neuves, déjà le fait d’une minorité âgée et aisée, est encore plus élitiste pour les voitures électriques. Avec moins de deux millions de véhicules neufs par an en incluant les achats des entreprises, renouveler le parc français prend plus de vingt-cinq ans. Même en arrêtant de vendre des voitures à moteur thermique en 2035, on n’aboutit pas à un parc propre en 2050 ».
 
Pourtant, il faudra mener cette bataille, l’Europe n’a pas le choix, elle est engagée à marche forcée dans sa stratégie « zéro émission » à l’horizon 2050. L’Etat français, lui aussi, sait qu’il va devoir accélérer la cadence s’il veut tenir ses promesses. D’autant que le secteur de transports constitue un axe essentiel de ce combat : en 2019, il représentait 31 % du total des émissions de GES nationales (avec 139,9 millions de tonnes de CO2), dont 93 % pour la route (127,7 millions), restant ainsi la source de pollution nº1 depuis 1998. L’objectif est donc évident : la France doit changer radicalement son approche de la route, car le train, le vélo ou les transports collectifs ne peuvent pas remplacer la voiture individuelle.
 
Une grande majorité de Français reste, en effet, « prisonnière » de l’usage de la voiture au quotidien. Selon les chiffres de l’INSEE, « 74 % des actifs en emploi qui déclarent se déplacer pour rejoindre leur lieu de travail utilisent leur voiture, 16 % prennent les transports en commun et 8 % ont recours aux modes de transport doux (6 % à la marche et 2 % au vélo) ». Une réalité qui avait explosé fin 2018 : « La mobilité a été l’un des facteurs importants de la contestation des Gilets jaunes », se souvient Philippe Tabarot, vice-président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette crise avait clairement démontré que la route – et la voiture en tant qu’objet – est de plus en plus synonyme d’iniquité sociale.
 
Changer usages et infrastructures
Changer cette approche de la route pourra prendre plusieurs visages, d’abord au niveau des véhicules eux-mêmes – encore trop onéreux donc –, mais surtout au niveau des infrastructures et des usages. « Les salariés habitent désormais de plus en plus loin de leur lieu de travail, et nous n’avons pas su apporter des solutions à ces personnes qui se sont éloignées et qui prennent au quotidien leur véhicule pour se déplacer, explique André Broto, auteur du livre Transports : les oubliés de la République (éd. Eyrolles). Les ‘oubliés de la République’ dont je parle dans ce livre, c’est une partie de ces 50 millions qui aujourd’hui est obligée de parcourir 30 à 40 km par jour pour les trajets domicile/travail. » Ce spécialiste des transports propose de généraliser une piste prometteuse : l’intermodalité, c’est-à-dire « l’enchaînement de modes de transports différents. La voiture pour se rendre à la gare routière, puis l’autocar sur l’autoroute, puis le tramway métro ou bus pour se déplacer dans la ville. Le principe est de transporter plus et mieux, avec ce qui existe déjà. Et pour organiser la multimodalité, il faut mettre en place des points de rendez-vous. Cela passe par la présence de gares routières, de parking et de pôle multimodaux. »
 
Des exemples existent déjà, comme le parc multimodal de Longvilliers sur l’autoroute A10, mis en service fin 2020, où se croisent donc voitures, vélos, bus collectifs et RER. Mais il en faudrait beaucoup plus, dans toutes les régions. La décarbonation de la route passera par l’essor du covoiturage – que permettent ces parcs multimodaux – et aussi par le déploiement à grande échelle des bornes de recharge ultrarapides dans l’espace public, partout dans l’Hexagone et pas seulement en région parisienne. En avril dernier, elles étaient au nombre de 57 732, bien loin des 100 000 promises pour fin 2021 par le précédent gouvernement, qui plus est mal réparties (près de 4 000 en Île-de-France contre 182 dans la région de Brest ou 319 dans la région toulousaine). Même volontariste, l’Etat ne semble pas avoir les moyens de ses ambitions. Ses « injonctions contradictoires », tournées vers la transition écologique et les véhicules propres, ont donc du mal à passer auprès des automobilistes français qui n’ont, eux non plus, pas les moyens de l’ambition écologique.
 
Investir oui, mais comment ?
Pour tenir l’engagement de 2050 et « verdir » le secteur routier, il faudra investir. Beaucoup. Entre 60 et 70 milliards d’euros dans les 10 prochaines années, selon plusieurs entreprises du secteur autoroutier. Une facture que l’Etat ne pourra pas se permettre de faire reposer sur les contribuables via les impôts, ou encore sur des hausses supplémentaires du tarif des péages. Il pourra en revanche s’appuyer sur les partenariats public-privé (PPP) existants, et imposer aux acteurs privés des rallonges aux investissements déjà engagés dans les infrastructures, par exemple pour la généralisation des bornes de recharge. À charge pour les deux parties de trouver un accord, sous les bons auspices de l’ART (Autorité de régulation des transports). En bloquant les hausses du ticket de péage – sur lequel l’Etat encaisse déjà 40 % – pour préserver le pouvoir d’achat des ménages, en contrepartie d’un allongement des contrats d’exploitation par exemple.
 
Mais les autoroutes ne sont pas les seules à nécessiter des investissements : les routes secondaires également, dont la qualité a dramatiquement chuté ces dix dernières années. Selon l’étude de 2021 intitulée Le rôle des infrastructures dans la transition bas-carbone et l’adaptation au changement climatique de la France et coréalisée par le cabinet de conseil Carbone 4, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), « l’investissement devra être partagé entre l’État, les collectivités territoriales et les grands opérateurs publics et privés ». La décarbonation aura un coût évident : reste à tous ces acteurs de trouver la bonne formule pour que ces investissements sur l’avenir ne retombent aujourd’hui ni sur les automobilistes, ni sur les contribuables.
 
 


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