L’asservissement à l’Anglais, c’est l’appauvrissement du Français. Vite dit, vite résumé, c’est un peu le cri du cœur du romancier Alain Borer, malgré tout professeur invité à l’Université de Los Angeles. Et pourtant, selon le spécialiste, 37 000 mots d’origine française sont venus étoffer la langue de Shakespeare tout au long de l’histoire, et particulièrement, depuis le XIème siècle.
Aujourd’hui, ce que dénonce Alain Borer, défenseur de la langue française, est la façon dont le monde anglo-saxon passe volontairement, c’est son avis, le Français à la moulinette : ce dernier est absent des aéroports, un exemple concret parmi d’autres, comme des grands rendez-vous internationaux. Notre langue est de moins en moins visible. Et l’essayiste va plus loin : il estime que nous-même Français, contribuons à cet effacement. « Disparition », précise t-il.
Ce qui se passe aujourd’hui, après une période faste d’enrichissement réciproque, est l’étouffement du Français. Il disparaît sous un phénomène « d’anglobal », estime Alain Borer. Oui, mais encore ? Qu’est-ce que c’est que ce barbarisme, « l’anglobal » ? C’est la façon dont la langue française absorbe des mots anglais. En revanche, ces mots, plutôt que de l’enrichir, se substituent au Français. Par exemple, vérifier disparaît au détriment de checker, faire une liste devient lister, booster remplace propulser…
Les exemples sont légion. Surtout, ils occupent tous les domaines. Celui de la cuisine avec le fooding, sorte de néologisme, ou encore les fast-food. La fashion week remplace la semaine de la mode… Alain Borer va plus loin : l’Anglais s’est emparé de tous les secteurs, sans exception, ceux de « la diplomatie, de la défense, de la chanson, de l’aviation, de la médecine, du sport. »
Pour lui, il y a une réelle soumission de notre part à la langue anglaise. Un des éléments les plus saillants est « la substitution de mots anglo-saxons à des mots français disponibles. » Et dans ce cas, ces remplacements génèrent un énorme déficit de nuance. Par exemple, explique Alain Borer, « on dit bouger et non plus se déplacer, s’en aller. » Cela contribue à appauvrir la langue. De la même façon, le dramaturge pointe notre difficulté, « passivité ou incapacité », dit-il, à fabriquer des mots désignant des concepts innovants. Pêle-mêle, il cite think thank, geek, burn-out… À la place, ce que nous avons inventé récemment, mémériser ou vapoter, n’est pas d’un niveau extraordinaire.
Et de là à parler de « déculturation », pour Alain Borer, il n’y a qu’un pas. Il regrette que pour se faire connaître et faire carrière à l’étranger, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis, il faille trouver des noms à consonance anglo-saxonne. Il cite donc le duo de musique électronique, emblème de la French Touch, c’est moi qui l’écrit, les Daft Punk ou le film The Artist.
Pour conclure, Alain Borer cite Victor Segalen : « En perdant ses mots, on perd son âme. » De quoi méditer sur une société qui change car sa langue s’érode. Pour lui, l’avenir est sombre, le Français sera « une langue régionale dans la mondialisation anglo-saxonne. »
De quel amour blessée. Réflexions sur la langue française, Alain Borer. (Gallimard, 354 pages).