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Mobilité durable : 100 000 bornes électriques de recharge, un pari réaliste pour les routes françaises ?


Clarisse Rosius
Vendredi 9 Avril 2021





Il y a urgence à accélérer le déploiement des points de recharge pour véhicules électriques en France. En effet, leur nombre et leur maillage sur le territoire sont essentiels pour garantir une adoption massive des véhicules électriques par les automobilistes. Un plan réaliste et concerté entre État et acteurs de la mobilité est indispensable à la réussite de ce projet. Car, au-delà de l’urgence climatique qu’il y a à décarboner les modes de transport, c’est le futur de la mobilité en France qui se joue.


Voitures électriques en France : des ambitions… sans bornes ?
 
Sur le papier, la France fait figure de bonne élève sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la mobilité électrique. D’après une étude de la Fédération européenne Transport & Environnement, la France devrait également devenir numéro deux de la production de véhicules électriques en Europe en 2025. En 2020, les véhicules électriques ont représenté 6,72% des immatriculations de véhicules légers vendus en France – avec deux modèles français, la Renault Zoé et la Peugeot e-208, aux deux premières places des véhicules les plus plébiscités. Le gouvernement a mis en place de nombreuses aides à l’acquisition de véhicules électriques afin d’accélérer la transition vers des modes de transports individuels décarbonés : bonus écologique, prime à la conversion, prime au rétrofit électrique (aide pour les propriétaires qui abandonnent leur moteur thermique pour un moteur électrique).
 
L’objectif fixé par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) est d’atteindre 100% de vente de véhicules électriques particuliers neufs en 2040, avec un palier à 35% de tout électrique et 10% d’hybrides rechargeables pour les ventes de véhicules particuliers neufs d’ici 2030. La programmation pluriannuelle de l’énergie adoptée en janvier 2019 fixe un objectif de 4,8 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables en circulation en 2028.
 
Pourtant, un problème de taille demeure : le manque de points de recharge pour véhicules électriques pourrait en freiner l’adoption, notamment en ce qui concerne leur utilisation sur moyenne et longue distance. Les ambitions du gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement climatique seraient alors fortement contrariées : pour rappel, en 2019, les émissions de C02 des déplacements sur autoroute représentaient 20% de l’ensemble des émissions du secteur des transports en France, soit 6% des émissions nationales.
 
Beaucoup, partout et rapidement : la difficile équation du déploiement des points de recharge
 
D’après un décompte de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere), il y avait en février 31 000 points de recharge pour véhicules électriques ouverts au public en France. 41% étaient disponibles sur la voirie et autres sites publics, le reste étant réparti entre entreprises et commerces (22%) et parkings (37%). On est donc encore loin des 100 000 points de recharge disponibles à la fin de l’année 2021 annoncés par le duo Barbara Pompili (ministre de la Transition écologique) et Jean-Baptiste Djebbari (ministre délégué chargé des transports) en octobre dernier. D’après un rapport du cabinet de conseil EY, au rythme de déploiement actuel, cet objectif ne pourrait pas être atteint avant 2024.
 
Mi-février 2021, Jean-Baptiste Djebbari est donc allé encore plus loin en dévoilant une stratégie d’accélération des stations de recharge ultrarapides sur autoroute. « Toutes les aires de service du réseau autoroutier concédé seront équipées de stations de recharge pour véhicules électriques d’ici au 1er janvier 2023 ». Quelques 440 aires de services sont concernées. Pour concrétiser cet objectif, un décret publié le 14 février dernier prévoit de financer de 10% à 30% des coûts d’installation de ces stations, avec un bonus de 10% pour les 150 premiers points de charge. Ces aides pourront d’ailleurs être cumulées avec la prise en charge à 75% des coûts de raccordement au réseau. Seules conditions : les opérateurs devront placer au moins 4 bornes de recharge, dont la moitié d’une puissance minimale de 150kW. Le budget de cette mesure s’élève à 100 millions d’euros.
 
Ce projet va globalement dans le sens des recommandations de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA), l’association professionnelle regroupant les acteurs du secteur autoroutier. L’ASFA recommande en effet une couverture en bornes de recharge de la totalité des aires de service, afin d’éviter l’apparition de zones blanches comme celle du Limousin. L’association propose également que le raccordement des bornes de recharge au réseau électrique soit pris en charge par les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) et financé par le péage, dans les conditions ouvertes par l’Autorité de régulation des transports (ART). Enfin, l’ASFA recommande d’adapter le mécanisme de subventionnement afin d’éviter le phénomène de saupoudrage des aides et de sur-financer des points de recharge qui sont naturellement rentables.
 
Des pistes pour ne pas louper le tournant de l’électrique
 
Car en l’état actuel du plan de déploiement promu par le gouvernement et de son financement, l’équilibre financier des bornes de recharge installées par les SCA n’est pas assuré. Ces dernières ont déjà largement amorcé le mouvement d’installations de points de recharge, avec 130 aires équipées de 307 bornes, et 196 en projet. Vinci Autoroutes notamment est en avance sur le déploiement, avec 229 points de recharge dont 90 à haute puissance. Mais la rareté des déplacements par véhicules électriques sur autoroute rend impossible leur déploiement sans refonte du plan de financement. Le modèle économique adopté par la loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019 est en effet inadapté par rapport au coût de raccordement de ces stations de recharge au réseau électrique.  
 
Le plan actuel du gouvernement prévoit par exemple un déploiement des points de recharge suivant la courbe d’évolution de la demande. Une telle politique d’équipement reviendrait pour les SCA à multiplier les dépenses d’investissement à chaque dépassement de la capacité de recharge disponible, de façon à maintenir un dimensionnement optimal du réseau par rapport au nombre de véhicules électriques en circulation – 1 borne pour 10 véhicules électriques selon les recommandations de l’Union européenne. L’ASFA assure que l’abondance et la qualité de l’offre de recharge créera la demande d’acquisition de véhicules électriques. Ainsi, l’association recommande plutôt de définir conjointement avec l’État un niveau de puissance cible pour la réalisation des raccordements au réseau électrique public d’ici à 2030, de manière à dimensionner le réseau de recharge de façon optimale avec les objectifs de circulation de véhicules électriques à cette date.
 
Ce déploiement pourrait être mis en œuvre dès maintenant par les SCA par avenant aux contrats de concession, et ce afin d’éviter les 18 à 26 mois de mise en service nécessaires en cas de nouveaux appels d’offre. Il pourrait être financé par le péage. Surtout, l’ASFA recommande d’adapter la subvention d’investissement d’équilibre (la somme versée aux sous-concessionnaires en charge du déploiement des points de recharge) aux sous-concessionnaires les plus compétitifs d’un point de vue financier. Ce mécanisme de subventionnement ciblé permettrait ainsi d’assurer l’équilibre des sous-concessions favorisant un tarif compétitif de la recharge par rapport aux carburants conventionnels, et facilitant ainsi l’adoption de véhicules électriques par le plus grand nombre. Comme le soulignait la Commission de régulation de l’énergie dans un rapport d’octobre 2018, il est plus que jamais nécessaire de « faire évoluer le cadre des concessions autoroutières pour le rendre favorable au développement d’infrastructures de recharge sur autoroute. » Afin que la mobilité électrique ne se limite pas à une mobilité intra-urbaine.