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Culture(s)

Pourquoi les prix littéraires sont (vraiment) importants pour les éditeurs


Cécile Julien
Vendredi 2 Janvier 2015





Souvent décriés pour les importantes retombées financières que certains d’entre eux génèrent, les prix littéraires ont pourtant une importance qui n’est pas que pécuniaire pour les maisons d’édition, tout comme pour les auteurs.


De l’argent et de la liberté

 
Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis, Académie, Interalliés, France Inter, des lecteurs, des libraires, Goncourt lycéen – pour les plus connus – … entre la mi-octobre et la mi-novembre, la valse des prix littéraires bat son plein, décernant, plus que leurs encouragements, leur considération, presque leur aval, aux auteurs qui ont enthousiasmé un jury et qui, demain, relayés par les médias, marqueront les lecteurs de France et de Navarre. Oui, les prix littéraires sont indispensables au monde français de l’édition, car ils font recette.
 
Après la rentrée littéraire qui a elle-même un effet positif sur les ventes, le Médicis permet, par exemple, d’écouler deux fois plus de livres d’une semaine à l’autre, quand un Femina multiplie par six le nombre de livres vendus, un Renaudot, sept, et le Goncourt, enfin fait vendre neuf fois plus de tirages la semaine suivant la remise du prix. Autant dire qu’en période de crise de l’édition, l’obtention d’un prix littéraire donne un nouveau souffle à une maison, et lui permet donc également de continuer à publier un fonds éditorial d’importance : « Nous ne pourrions pas publier l'intégrale du journal de Kierkegaard, la Correspondance de Rimbaud ou les 20 volumes de l'œuvre de Walter Benjamin sans de tels succès. Ce fonds-là est, à mes yeux, indispensable, mais pèse dans les bilans comptables. Toute la difficulté est de trouver le juste équilibre (…) » entérine Claude Durand, après trente ans passés à la tête de Fayard (1). Et si les prix littéraires ne peuvent, à eux seuls, stimuler à long terme le marché de l’édition, Arnaud Nourry, PDG de Hachette Livre, n’est pas inquiet quant à la capacité des éditeurs de préserver la diversité de leurs catalogues : « Il n'y a aucune raison que le marché du livre s'effondre. Les gens lisent toujours autant, les livres sont toujours aussi beaux, il y a toujours autant de nouveautés. » (2)

Positionnement éditorial et patrimoine

Les prix les plus connus n’apportent pas uniquement un soulagement d’ordre financier aux maisons d’éditions et à leurs auteurs. Ils viennent également saluer un positionnement éditorial, comme l’explique Sylvie Ducas, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-Ouest et chercheuse à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines : « Hervé Bazin a beaucoup réformé le Goncourt dans les années 1970. En réaffirmant la priorité des écrivains sur le commerce, il a eu l'intelligence de changer le système au moment où il était le plus contesté, juste après Mai-68, seule période où les prix ont vraiment failli disparaître. Cela dit, Bazin reste un Homo goncourensis. Il porte une idée de la littérature propre au Goncourt : le roman réaliste, lisible et grand public. Le prix a été créé en 1903 par une avant-garde qui défendait cette esthétique réaliste décriée, contre une Académie française qui méprisait le roman et mettra d'ailleurs quelques années à créer son grand prix. Aujourd'hui, cette esthétique est dominante ; et les prix maintiennent son hégémonie » (3).
 
Et si les différences d’appréciation entre les plus anciens d’entre eux se sont étrécies avec le temps, l’attribution de certains grands prix n’en est pas moins, toujours aujourd’hui, le gage d’une littérature de qualité, qui vient récompenser le travail de l’auteur, certes, mais également celui de son éditeur, acteur actif du patrimoine culturel, n’en déplaise aux mauvaises langues qui les jugent par trop conservateurs. 

De la découverte à la postérité, un long chemin

En effet, plus globalement, l’attribution d’un prix vient légitimer le positionnement d’une maison en termes de management de la qualité, du potentiel qu’est capable de reconnaître une maison d’édition chez un auteur, et de l’excellence qu’elle lui instille à partir du produit brut.  Car tout comme un musicien a besoin d’un studio et d’un ingénieur du son pour donner à ses compositions toute la profondeur de son qu’elles méritent, tout auteur a besoin non seulement d’une structure, mais également d’un éditeur pour l’accompagner en vue d’atteindre l’aboutissement de sa pensée, pour magnifier son texte, comme le confirme Arnaud Nourry au sujet du rôle de l’éditeur : « La plupart [des auteurs] ont besoin d'un dialogue, d'un travail sur le texte, d'une relation avec une personne physique. »
 
Car il est très rare qu’un écrivain fournisse de prime abord un manuscrit proche de la perfection, et qu’une fois le manuscrit repéré parmi d’autres, il faudra des semaines voire des mois de travail entre l’éditeur, le lecteur-correcteur, et l’auteur, qui littéraires ne récompensent pas seulement les qualités narratives et stylistiques d’un écrivain mais également celui de sa maison d’édition pour sa capacité à l’avoir emmené vers la visibilité et le succès. Car au-delà de toute logique marchande, la visée du prix est sans doute avant tout d’accompagner, à son tour, l’auteur vers la postérité.
 
 
(1) Claude Durand : « Le système des prix littéraires me met en rage », L’Express, le 8 avril 2009, http://www.lexpress.fr/culture/livre/claude-durand-le-systeme-des-prix-litteraires-me-met-en-rage_752680.html
(2) Le Goncourt va-t-il suffire à doper le marché de l’édition, BFMTV, le 07 novembre 2012, http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/prix-litteraires-ne-suffisent-pas-a-doper-durablement-ledition-374720.html
(3) A quoi servent les prix littéraires, Le Nouvel Observateur, le 3 novembre 2013, http://bibliobs.nouvelobs.com/rentree-litteraire-2013/20131028.OBS2965/a-quoi-servent-les-prix-litteraires.html




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