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Secret Défense


Jeudi 28 Mai 2015





À l’occasion de la parution de son essai, « Défense du secret », aux Éditions Payot, la psychanalyste Anne Dufourmantelle a répondu au Figaro Madame. Le sujet est à la fois préoccupant et passionnant : protéger le domaine de l’intime.


Secret Défense
Dans l’époque hyperconnectée qui est la notre, et celle du surmoi numérique, la question de tout montrer est plus que jamais d’actualité. En parallèle, la problématique de la protection de l’intime est aussi complètement dans l'air du temps. C’est le sujet du livre de la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle : comment réussir à maintenir et à préserver l’intimité à l’ère de la grande exhibition digitale ? Ne rien dire, conseille t-elle. Mieux, rejeter la transparence, et mettre un peu d’opacité dans nos vies.
 
Des mesures de protection pour certains. Du bon sens pour d’autres. Mais dans tous les cas, la psychanalyste observe chez ses patients, les bienfaits de « se taire », pas en consultation avec elle, mais dans leur entourage. Elle leur conseille de garder certaines choses pour eux, de préserver leurs vies privées. Contradictoire à l’époque du grand déballage ? Non, salvateur ! Ainsi, à la question, « Dans une société où tout se dit, s’avoue et se voit, le secret n’est-il pas le dernier des luxes ?
 » Elle répond si, justement.

Le retour à l’intime quant à lui est nécessaire dans un monde où « nous vivons tous dépliés dans un univers panoptique. On est sans cesse sous le regard de l’autre, du fait de l’évolution des technologies et aussi de cette douce, insidieuse et forte pression du surmoi social. On se sent obligé de tout dire et d’exprimer à nos enfants, nos conjoints à peu près tout de notre vie intérieure. Les espaces très préservés, comme le silence ou la prière, deviennent de grands luxes », dit-elle.

Pour préserver sa vie privée, il faut accepter de prendre à contre-pied le courant général. Et son époque, à rebrousse-poil ! Maintenir des zones secrètes, protéger son intimité. Ne pas céder à la performance à tout prix pour faire comme les autres. C'est notamment ce que font beaucoup de jeunes dont les pratiques à risques se multiplient, y compris les « postures pornographiques », souligne la philosophe. En gros, il y a autre chose que la transgression pour s’affirmer et exister. Prendre en compte ce que l’on ressent. Davantage que ce que l’on est sensé faire, ou que le groupe attend de nous.

Évidemment, à l’heure des réseaux sociaux, aller à contre-courant, notamment pour les jeunes, peut se révéler hardu. En effet, les réseaux sont propices au grand dévoilement. Même si, finalement, la réalité est biaisée : « le problème de Facebook est le suivant : une idée postée a de la valeur parce qu’elle est choisie par d’autres. C’est le règne implacable du j’aime parce que tu aimes », explique Anne Dufourmantelle au Figaro. Sur son blog, la bloggeuse Garance Doré n’écrit pas autre chose : « Ce sont les likes qui guident le contenu – la plupart des sites sont à la course aux likes donc ils font du contenu dont ils sont sûrs du succès. » Autre danger des réseaux sociaux, dit Anne Dufourmantelle, « on y trouve des personnalités leaders auxquelles tout le monde adhère. »

Et dans un couple, faut-il aussi tout dire ? Pour Anne Dufourmantelle, « je pense qu’il est préférable de ne pas tenter de percer les secrets du conjoint. Les progrès de la technologie nous invitent à tout vérifier via les ordinateurs, les portables (…) Il faut savoir ignorer cet arsenal même si c’est difficile. Le vrai luxe, c’est de savoir que l’on peut espionner son amoureux et choisir de ne pas le faire. » En somme, l’ignorance protège ? Oui. Et préserver sa petite zone d’ombre, ou son jardin secret serait très bénéfique. Une façon de s’opposer de manière « positive à l’air du temps. » Le Jardin secret « aide l’individu à penser par lui-même, à devenir un peu plus dense et à se moquer des diktats de l’époque. » Et toc.

Défense du secret, Anne Dufourmantelle, (Payot).
 
 

Anne Dufourmantelle
Anne Dufourmantelle




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